Je suis divorcée et fatiguée

Article : Je suis divorcée et fatiguée
Crédit:

Je suis divorcée et fatiguée

Dans nos sociétés, les relations amoureuses sont devenues de plus en plus complexes et diverses. Malgré les progrès accomplis en termes d’égalité des sexes, certaines stigmatisations persistent. Parmi elles, les femmes divorcées sont souvent confrontées à des préjugés sociaux profondément ancrés.

Crédit Photo : flickr.com

Je ne prendrai pas tes appels pendant un moment. Je lirai tes messages mais je n’y répondrai pas non plus. Je n’ai la force ni de m’épancher sur mes sentiments, ni d’écouter tes mots d’encouragement. Je suis fatiguée.

Ton ouverture d’esprit t’empêche de me juger et ton amour pour moi engendre continûment de l’espoir quant au changement de ma situation, mais je ne partage pas tes espérances. Mon cœur vide et mon esprit fatigué m’empêchent de partager ton optimisme.

Je suis allée au rendez-vous, comme les autres fois. Cette fois, avec plus d’enthousiasme que les autres. Sa sœur que j’ai rencontrée à la salle de gym ne m’a dit que du bien de lui. Nous nous sommes vite appréciées elle et moi et elle m’a parlé de son frère qui cherchait à construire quelque chose avec quelqu’un. Tu me connais. Avant même qu’elle ne fasse étalage des qualités de son frangin, j’ai opposé un refus. Je suis toujours gênée par ce genre de proposition. L’air de rien, ça me fait me sentir vulnérable ; comme un morceau de viande étalé sur le marché attendant le meilleur acheteur.

Mais je me suis laissée convaincre. On est toujours protectrice de nos frères. Autant on les trouve souvent abrutis et inaptes à fonder des relations solides, autant on souhaite le meilleur pour eux. Pour Amy, son frère n’était ni un abruti ni une énième confirmation du cliché de l’homme qui échoue dans ses relations. À travers sa sœur, j’ai commencé à m’attendrir pour un homme doux, ambitieux et protecteur de sa sœur depuis le décès de leurs parents. C’était un beau combo et j’avoue que voir sa photo a ajouté le push qui manquait pour que j’accepte enfin de lui parler. Il était plutôt bel homme et pendant un moment, j’ai cru lire dans ses yeux la douceur dont sa sœur parlait tant.

Nous nous sommes parlés pendant trois semaines presque sans arrêt avant qu’il ne m’invite à sortir. C’était l’une de ces rares fois où le courant passait immédiatement avec quelqu’un. Nous pouvions parler au téléphone durant des heures sans discontinuer. Ses blagues me tordaient de rire et j’étais admirative de son niveau de sensibilité. Je pouvais lui évoquer de petits événements sans gravité et le voir immédiatement revêtir son chapeau de résolveur de problèmes. Sa sœur avait raison ; il était un grand ours, sensible et protecteur.

Trois semaines c’est peu, mais c’est relativement long lorsqu’on parle quotidiennement avec quelqu’un. J’avais l’impression que je le connaissais depuis des mois. J’avais hâte, mais je redoutais aussi le moment de notre rencontre. Trois semaines c’est long, mais c’est relativement court. Nous ignorions plusieurs choses l’un sur l’autre et ce serait l’occasion de tout mettre sur la table. Passé un certain âge, le jeu de cache-cache n’est plus approprié.

Je suis arrivée au restaurant avec vingt minutes de retard. Je suis de nature ponctuelle mais j’ai intentionnellement pris mon temps. Ça faisait longtemps que je ne m’étais pas habillée et maquillée pour plaire. Je souriais bêtement en me regardant dans le miroir. J’étais contente du résultat. J’étais contente de rencontrer une personne avec laquelle je pourrais éventuellement construire quelque chose.

Adam était assis au fond de la salle. Un col roulé noir et une veste en velours couleur bleu marine. Il tripatouillait son téléphone d’une main et tenait un verre d’eau de l’autre. J’ai souri et salué une fois à son niveau et il m’a rendu le sourire le plus blanc qu’il m’ait été donné de voir. Je remercie les propriétaires du restaurant pour le choix de la lumière tamisée. Mon taux de mélanine ne m’empêche pas de rougir et il aurait tout de suite vu ma gêne et mon émoi.

Comment te dire ? C’est comme si je l’avais toujours connu. Avant et pendant le dîner, nous avons parlé de tout et de rien. Les mots sortaient naturellement, les rires étaient sincères, les regards se cherchaient. Il a entrepris après le dîner de me parler de choses moins joyeuses comme le décès prématuré de ses parents et sa protection maladive dès lors envers sa sœur. Son regard était chargé d’émotions différentes et il m’a demandé un sourire triste en coin si j’avais quelque chose de plus joyeux à raconter.

Nous étions à un moment de grande vulnérabilité. Il s’est ouvert et m’a confié des choses difficiles, j’ai décidé que c’était le moment de m’ouvrir sur une part douloureuse de ma vie. J’ai alors évoqué mon ex-mari. J’ai expliqué que j’avais été heureuse et que j’avais volé sur un petit nuage jusqu’au divorce.

J’avais vingt-cinq ans et j’épousais l’homme de ma vie. Nous étions jeunes, nous étions amoureux, et l’aveuglement de l’amour et de l’espoir qui l’accompagne toujours nous amène à fermer les yeux sur certaines failles. On se dit qu’on arrivera à changer l’autre et qu’au nom de l’amour, ces failles se fermeront naturellement. Tout à mes espoirs, je n’ai pas vu les nuages de malheur qui s’amoncelaient au-dessus de nos têtes.

Après le mariage, nous avons perdu notre fille juste après ses quatre ans et nous avons divorcé trois ans après ce malheur. Je n’exclus pas ma part de responsabilité. La gestion d’un deuil est différente d’une personne à l’autre et ma difficulté à traverser ce cap l’a peut-être poussé dans les bras de celle pour laquelle il est parti.

Maman, je ne m’attendais pas à ce qu’Adam me prenne dans ses bras ou compatisse avec des larmes à mon histoire, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il ne retienne que le mot divorce de tout mon discours. Il a présenté des condoléances expéditives pour la perte de ma fille et il m’a demandé si j’avais essayé de retenir mon ex-mari. Il m’a demandé pourquoi est-ce que je n’ai pas mentionné le divorce dès le début de nos échanges. Il m’a demandé si j’étais encore en contact avec mon ex-mari et ma réponse négative à cette question ne l’a pas empêché de sortir le discours qui semblait être préparé depuis qu’il a entendu parler de divorce.

Ses mains croisées sur la table, il m’a expliqué calmement qu’il ne pouvait pas envisager d’avenir avec une femme divorcée. Il m’a expliqué qu’il n’a jamais été marié et qu’il souhaitait vivre cette expérience avec quelqu’un qui comme lui, ne l’avait jamais été. Il m’a dit qu’il comprenait que ce ne soit pas la première chose qu’on souhaite évoquer lorsqu’on commence à parler avec un potentiel prétendant mais il aurait souhaité tuer cette romance avant qu’elle n’éclore. Il a quitté la table et m’a demandé de l’excuser.

Je ne lui en veux pas maman, mais je suis fatiguée. Il n’est pas le premier homme que je rencontre après le divorce. Je n’ai jamais caché mon statut de divorcée. J’ai toujours essayé d’évaluer le moment adéquat pour en parler. Certains l’ont su dès les premières minutes et d’autres comme Adam l’ont appris à peine quelques semaines plus tard. Mais qu’est-ce que ça a changé ? Tous ont avancé à leur manière, les raisons pour lesquelles une union avec une femme divorcée ne les intéressait pas.

Je comprends qu’on ait tous nos critères mais je suis fatiguée d’essayer. Je suis fatiguée qu’on suppose toujours que mon divorce vient du fait que je n’ai pas su retenir mon mari. Peut-être étais-je une femme infertile ? Insoumise ? Trop docile ? Pas assez affriolante pour mon mari ? Les spéculations vont bon train, mais jamais une ne se conclue en ma faveur.

Je suis fatiguée maman. Je sais que mon ex-mari a refait sa vie et que tu souhaites que j’en fasse autant. Il a eu une autre fille avec la femme pour laquelle il m’a quittée mais il en a épousé une autre. Être divorcé et père d’une enfant adultérin ne l’a pas empêché d’épouser un bon parti. Ma valeur quant à moi, comme celles de millions de divorcées, a drastiquement baissé sur le marché et rien ne semble jouer en ma faveur.

Je sais qu’il existe des hommes qui ne considéreront pas mon divorce comme un handicap. Tu me diras de garder espoir et de continuer à y croire. Tu me diras qu’à trente-six ans j’ai encore la vie devant moi et que le meilleur reste à venir. Mais je suis fatiguée maman. Aujourd’hui je n’ai pas la force d’essayer. Je n’ai pas la force de rêver. Je ramasse encore les morceaux de mon cœur brisé et il me faudra du temps pour le ranimer.

Prie pour moi et laisse-moi te rappeler plus tard. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui je suis fatiguée.

Partagez

Commentaires

KAMASSA Robert
Répondre

Waouh très touchant les mots ne font que pleuvoir et à leur juste valeur vraiment je vous envoie des ondes positives pour cette plume

Axel
Répondre

Il faut continuer de se battre pour ses rêves même si à force de déception la lassitude s'installe.

Belle plume, Laurier !

Bénédicte
Répondre

Vraiment beaucoup de jeunes dames dans cette situation, vivement qu'elles retrouvent l'amour

Laurier d'ALMEIDA
Répondre

Cher Axel, je suis heureux de te lire ici.

Nous avons réalisé nos rêves à force de deceptions et d'echecs.

Haut les coeurs !

La carapace n’est pas faite de rêves mous mais de coups reçus et souvent rendus. 2023 est à toi. Bats toi.

Gilbert
Répondre

Belle plume!!! On a quoi à perdre à espérer que demain serait meilleur ? Pratique rien..Je sais c est facile à dire qu’à faire mais ça vaut le coup

Laurier d'ALMEIDA
Répondre

Cher Gilbert, je suis heureux de te lire ici.

Demain il fera beau. Nous y croyons. Nous y travaillons.

Marc Sony Ricot
Répondre

Salut Laurier. Je viens de lire ton texte. Je suis haïtien. Je tombe fort pour ta plume. Quelle élégance. Raffinée. Limpide. Les mots coulent doucement, mais ils me frappent en plein cœur. C'est beau. C'est sensible, ton histoire. J'espère que tu écris un roman sur cela. Je te conseille de lire "Vivre vite" de Brigitte Giraud. Tout peut faire un roman. Je te souhaite beaucoup de courage. Je t'envoie aussi beaucoup d'ondes positives. J'attends le récit.

Cordialement !

Sony